Partage : en ces temps de guerre, l’universalité se rappelle à nous, petit texte anonyme.
Quelle est notre vraie famille ?
Où est-elle, ma vraie famille, et qui en fait partie ? Qui est ma mère et laquelle est-ce, au fond? Au-delà des habitudes, au-delà des évidences, combien avons-nous de frères ? Car enfin avons-nous une mère ou plusieurs mères ?
Notre mère semble la cause, presque unique, de notre existence, dont le père ne serait qu’une cause symbolique, puisqu’elle a fait le travail de notre existence. Mais était-elle seule ? Combien étaient-elles ? Qu’aurait créé ma mère, en me mettant au monde, sans le concours, toujours précédent, toujours nourricier, de mes deux autres mères, de nos deux mères à tous, qui sont la terre et la langue ? Que m’aurait-elle donné à manger, que m’aurait-elle donné à dire ? Nul homme n’aurait pu exister sans le concours, l’alliance de ses trois mères.
Que la terre soit mère, tous les peuples l’on dit, l’ont narré, l’ont écrit dès qu’ils ont pu le faire, et ce qui le leur a permis, c’est la langue. Or cette origine, double et si commune, change tout, car si tous les hommes ont trois mères, la leur, la terre et la langue, ils sont tous frères.
Et n’opposons pas trop vite la terre qui unit aux langues qui séparent, car toutes les langues sont filles les unes des autres. Dieu lui-même ne peut rien contre Babel, la terre qui monte au ciel. Car tous les mots d’une langue remontent, de proche en proche, à des mots d’autres langues.
Et parmi eux, notre famille : nos noms, nos prénoms, nos surnoms, qui sont des mots comme les autres. Tous les noms propres, à l’origine, sont des noms communs. Toutes les familles du monde sont donc tressées ensemble avec toutes les familles de mots, toute la langue en un mot, ce trésor commun qui conserve à jamais l’adresse de chacun et la pensée de tous.
L’étymologie est donc la clef des généalogies : le sens est le secret de l’arbre. Le sens du sens, qui est un sens de la famille, un sens de l’origine, un sens commun. Car tout cela remonte nécessairement à la protolangue balbutiante des premiers humains de la terre. Voila pourquoi tous les mots, tous les hommes ont un air de famille.
On comprend mieux Platon. Car tous les mots peuvent être riches, et tous les hommes fiers d’avoir en eux, d’avoir entre eux, ce rien de lien dont Platon définissait ses Idées : un air de famille.
On comprend mieux Jésus refusant de voir sa famille, juste avant sa mort. L’espoir suppose parfois une leçon terrible. Aussi dure à donner qu’à recevoir.
Ma famille, c’est tous les hommes.